TRIBUNES

Implants dentaires
Vitamine D
Essais comparatifs

IMPLANTS ET VITAMINE D

L'EXTRA-ORDINAIRE EPOPEE DE LA VITAMINE D ET AUTRES EN IMPLANTOLOGIE DENTAIRE.
Par le Dr. L. BENSLAMA.
Chirurgien stomatologiste et maxillo-facial. Praticien de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière et de l’hôpital Américain de Paris.
69, rue de la Tour, 75016 Paris.

QUE DE TEMPS PERDU POUR RIEN !

Chacun d'entre-nous aura entendu lors d'une de ces réunions de formation continue ou peut être d'enseignement de l'implantologie parler de vitamine D et de son implication, avec les dyslipidémies, dans l'échec implantaire. Cela a été mon cas, il y a deux ans lors d'une journée organisée dans un hôpital prestigieux de Paris, et j'avoue en avoir été sidéré, je vous en indiquerai les raisons.
J'ai entendu un conférencier recommander de faire doser cette vitamine avant tout geste implantaire, de corriger les éventuels déficits, de vérifier l'absence biologique d'une dyslipidémie (en particulier le cholestérol) et de prescrire même un traitement par statines, ce qui n'est pas rien, jusqu'à normalisation avant de procéder à la mise en place des implants endo-osseux ou autres actes de chirurgie pré-implantaire projetés. Cela était dit avec un ton assuré, ferme, presque paternaliste envers des "jeunes" qui n'ont pas encore compris pourquoi il avaient tant d'échecs implantaires, sur le mode "et surtout n'oubliez pas de faire doser bla bla bla.."
Sidéré, car peu de temps avant, j'avais lu un éditorial dans le New England Journal of Medecine (Vitamin D Deficiency — Is There Really a Pandemic? de JoAnn E & al) parce que d'un seul coup, on a décidé que la norme de la vitamine D sérique était à tel niveau et qu'un pourcentage très élevé de la population aux USA se trouvait en carence, ce qui paraissait invraisemblable. Avant cet article, j'en avais lu d'autres, en particulier celui-ci (Vitamin D Insufficiency, Clifford J. Rosen, M.D., NEJM) montrant la grande difficulté de standardiser le dosage de la vitamine D sérique : "although there are several ways to measure 25-hydroxyvitamin D (radioimmunoassays, enzyme-linked assays, and liquid chromatography with mass spectrometry), the precision and accuracy of the assays, especially in nonreference laboratories, remain problematic".

Une autre difficulté vient du fait que le taux de la vitamine D varie chez un même individu d'un moment à un autre :"25-hydroxyvitamin D levels change with the seasons, exposure to sunlight, and dietary intake (même référence), ce qui a même amené les organismes de sécurité sociale en France (UNCAM) à dérembouser ce dosage, dès lors qu'il était prescrit en absence d'arguments cliniques suggérant une déficience selon les recommandations de l'HAS que chacun peut consulter sur son site "Doser la vitamine D ne présente aucune utilité démontrée dans un grand nombre de situations cliniques, sauf dans le rachitisme et l'ostéomalacie".

Vous comprenez alors ma surprise d'entendre un "leader d'opinion" proclamer le contraire. Je me suis donc rapproché de lui à la fin de la journée en lui demandant ses sources et sa réponse a été : quoi ? tu n'as pas lu ce que nous venons d'écrire ? C'est dans PubMed ! je croyais que tu étais bien informé !.." C'était une connaissance de longue date et il avait raison, car à la place ou j'étais et étant donné mon rôle d'enseignant, y compris dans le domaine de l'implantologie, il était inacceptable que je passe à côté d'une information aussi importante. Un peu vexé mais décidé à combler mes lacunes, je me connecte le soir même à PubMed et je recherche l'information manquante et je trouve facilement la publication en question : Two neglected biologic risk factors in bone grafting and implantology: high low-density lipoprotein cholesterol and low serum **vitamin D. Les auteurs étaient **Choukroun J, Khoury G, Khoury F, Russe P, Testori T, Komiyama Y, Sammartino G, Palacci P, Tunali M, Choukroun E et la revue était le Journal of Oral Implantology, organe officiel de l'American Academy of Implant Dentistry et de l'American Academy of Implant Prosthodontics avec un impact factor (IF) respectable, 2,809 en 2017. Bref, un titre accrocheur, des auteurs leaders d’opinions de différents pays (internationaux), une revue prestigieuse etc.
Je m'attendais donc à un article original et j'imaginais une étude clinique prospective multicenrique solide et incontestable qui met en évidence des faits jusqu'alors méconnus, et ma déception a été grande de ne retrouver qu'une "review" ! Et l'on s'est mis à 10 auteurs pour faire cela, alors qu'habituellement, c'est à un ou deux auteurs que l'on demande une "revue" sur un thème particulier, le ou les auteurs devant faire part de l'état des connaissances sur un domaine tout en apportant leur expérience personnelle.
Chacun d'entre vous se souvient sûrement de cette pyramide de la preuve sientifique pour la médecine (evidence based medecine) que je vous joins en bas de texte ainsi que le tableau du niveau de preuve, utilisés par l'HAS, tous les organismes s'occupant de santé et toutes les sociétés scientifiques sérieuses, nationales et internationales pour élaborer des recommandations pour la pratique clinique.

AUCUNE ETUDE CLINIQUE

Je vous parle de cela car j'ai évidemment accédé à l'ensemble de l'article en question et ô surprise, ce n'était pas une revue systématique, et dans les 47 références bibliographiques de ce papier, il n'y en avait aucune qui portait sur le moindre cas clinique, tout était basé sur des études de laboratoires, des études animales, des transpositions sans la moindre base... Bref, un papier que ni la HAS, ni aucune société scientifique ou organisme s'occupant de santé humaine n'aurait retenu pour servir de base à la moindre recommandation pratique ! Je me suis dit que la littérature regorgeait peut être d'études cliniques sur le sujet et que ces grands experts faisaient une sorte de synthèse mais la recherche systématique dans la littérature scientifique restait sans appel : aucune étude clinique !
Et pourtant, que de dosages de vitamines D, que de supplémentations que de dosages de lipides et cholestérols, que de prescriptions de statines et autres ont été prescrits depuis la publication de cet article que personnellement, si j'étais abonné à la revue Journal of Oral Implantology, je n'en aurais lu que le titre et peut être, peut être, l'abstract avant de le ranger définitivement, sans le lire, dans la catégorie des élucubrations de "savants" en perte de notoriété qui utilisent leur prestige pour asséner des arguments d'autorité sans la moindre preuve scientifique évidente.
A l'époque, je m'étais étonné de ce fait et je m'en étais ouvert à un implantologiste parisien de renom qui m'a affirmé tenir compte désormais de ces deux "neglected factors" sans pouvoir en discuter plus. Je m'étais étonné qu'une revue scientifique "sérieuse" avec probablement un comité de lecture ait pu laisser ce type d'article sans au moins un commentaire, mais j'ai appris que c'était une revue en "open access", c'est à dire que l'on peut être publié si l'on paie ! Je ne sais si c'était le cas, mais en tous les cas, il y a des lacunes graves dans ces revues à impact factor consistant et leurs conséquences sont graves en terme des pratiques cliniques, de dépenses de la santé, de façonnement des esprits au bénéfice de certains acteurs de santé, etc.
A l'époque, je m'étais dit que j'écrirai une lettre à la rédaction ou un éditorial pour dénoncer ces faits et rectifier les "évidences", mais le temps, compté, a passé...
En fait, je me rends compte que je viens de le faire, et j'attends les critiques et commentaires.
Ah, j'oubliais : une nouvelle consultation de la littérature, ce soir, sur la vitamine D et les lipides sériques en implantologie montre que depuis cet article, celui de 2014, rien n'est venu confirmer sérieusement (un case report sur un patient) les allégations des experts auteurs, au contraire, et aucune étude clinique n'a été réalisée, ce qui prouve, si l'on voulait encore, la faiblesse des arguments des experts des deux "neglected factors".
Que de temps perdu pour rien !

RANDOMISED CONTROLED DOUBLE BLIND TRIALS

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